LES ANCIENS DU VILLAGE
J’ai eu la chance pendant
plusieurs années
de
côtoyer les anciens du village
Tous
les après- midis, après la sieste, pendant l’été, ils
arrivaient les uns après les autres, chacun avait son heure, ils
s’installaient sur le même banc, toujours à la même place, Henri
arrivait le premier et, sans parler, venait s’asseoir près de moi,
le bonjour n’était pas nécessaire
Ensuite arrivait Hubert, il posait son vélo contre l'arbre et prenait sa place près de nous, le banc n’était pas très grand mais il restait une place pour Henri Giraud le forgeron,
Il
arrivait toujours à 15 heures en regardant l’horloge du château
et prenait la dernière place. On savait qu’il ne restait pas
longtemps car il avait beaucoup de travail à sa forge, il aimait
taper une fois sur le fer et trois fois sur l’enclume, c’était
sa façon de travailler
Ainsi
j‘ai pu recueillir certaines histoires de vie dans le village.
Chacun
racontait à sa façon les différents moments de son existence,
surtout le travail qu‘il fallait abattre pour survivre des récoltes
qui n‘étaient pas toujours prospères, ce n’était pas comme
aujourd’hui, il n’y avait pas de subventions.
Un
jour, après le départ du forgeron, Emilien prit sa place et c’est
à ce moment que l’on vit passer le docteur qui allait faire sa
visite à Elise.
-
Tè, vé le docteur, il se croit tout savoir, moi je ne
l‘appelle plus depuis qu’il m’a dit que j’avais un « urcère
« .Après m’avoir regardé dans tous les sens, je lui dis que
mon estomac me faisait mal après les repas à tel point que je ne
pouvais plus faire la sieste:
Alors
il m’a dit: monsieur Autran il faut vous opérer
-
Quoi !m’opérer, écoutez docteur, je ne me ferai jamais opérer.
-
Combien je vous dois?
Puis
il est parti, il n’avait pas l’air content.
-
Il ne m’a jamais demandé ce que je mangeais, ni ce que je buvais,
moi je savais pourquoi j’avais mal à l’estomac: c’était le
vin de la coopérative qui me brûlait le ventre, alors j’ai arrêté
d’en boire et depuis j’ai plus mal, hé voilà !
Lorsque
je me trouvais avec Henri, avant que les autres arrivent je lui
posais des questions sur leur âge respectif
-
Dis Henri, quel âge a Hubert?
-
Hubert, il est de 12.
-
Et le forgeron?
-
Ho, Henri, il est jeune, il est de 16.
-
Et Marceau ?
-
Marceau et Elie sont partis ensemble au conseil de révision ils sont
de 11.
-
Et toi, quel as-tu?
-
Moi, j’ai 6 mois de moins qu’Hubert.
Il
ne me restait plus qu’à faire les calculs pour connaître leurs
âges.
Quelquefois,
le dimanche, nous regardions les jeunes jouer à la paume contre le
mur de l’église, ils jouaient comme ils savaient, comme ils
pouvaient.
Alors
Henri me dit:
Nous
on travaillait du matin au soir et entre midi et une heure, après
avoir mangé un bout de pain avec ce que nous avions et bu un bon
coup de vin, on attaquait la partie, mais nous avec une balle
que l’on confectionnait avec une vieille chaussette entourée
d’élastiques, pas comme eux avec de belles balles de tennis, il
fallait voir les parties qu’on faisait, ensuite on retournait
travailler.
Il me disait aussi que dans le temps, avant la guerre de 45, tous les jardins étaient entretenus, l’eau de la fontaine remplissait le pesquier, ce grand bassin derrière le lavoir, chacun avait ses deux heures pour arroser, on ouvrait les vannes et l’eau coulait dans les rigoles.
Il
y avait un cahier, tenu par le garde, qui faisait respecter les
horaires de chacun, tu comprends dans ces jardins il y avait de tout,
pommes de terre, tomates, oignons, poireaux, et même des fleurs pour
le cimetière, il fallait faire des réserves pour l’hiver.
Emilien me racontait qu’avant la guerre, sa femme lui demandait:
-
Va me tuer un lapin pour demain, mais pas trop gros on est que
quatre.
J’allais
derrière le cimetière, de bonne heure et je tirais celui que
je voulais.
Aujourd’hui,
avec ces étrangers qui arrivent avec leurs grosses voitures et des
fusils terribles, ils les ont fait partir ou même mourir avec cette
maladie qui les fait gonfler.
Des
perdreaux il y en avait beaucoup mais c’était difficile de les
tuer. On tuait les sangliers qui venaient jusqu’au village pour
ravager les cultures, on ne pouvait pas en tuer trop car on ne
pouvait pas les conserver comme aujourd’hui.
C’était
le bon temps, on travaillait beaucoup mais la vie était belle,
lorsqu’il y avait une fête, il fallait nous voir danser, ce
n’était pas comme maintenant, ils ne se touchent même pas.
Je
buvais ces paroles, j’aurais voulu qu’ils continuent à me parler
de ce temps qui ne reviendra plus jamais.
Un
jour, en me promenant, je passais devant la remise d’Henri, il
était à son établi et façonnait un manche pour sa bêche.
-
Tu vois la forme de ce manche, c’est du noisetier, la courbe est
naturelle et « on fatigue moins. »
Au
mur étaient suspendus des faux, des faucilles, des ustensiles, tous
rouillés.
rouillés.
-
Qu’est-ce que tu vas faire avec ces vieux outils ?
-
Laisses- les ou ils sont, peut-être qu’ils serviront un jour,
regarde cette faux lis ce qu’il y a marqué sur la lame « Aillaud
Casimir », c’est mon grand- père. A l’époque on marquait
le nom du propriétaire .Je ne te parles pas d’ hier!
Cette
faux, elle en a fauché du blé!
Ils
sont venus me voir, c’étaient des brocanteurs de Marseille, ils
m’en offraient un bon prix, mais pour moi, ils n’avaient pas
assez de sous pour me payer. La valeur sentimentale n’a pas de
prix.
Pendant
qu’il continuait à travailler, je regardais ces outils pendus
entourés de toiles d’araignées qui semblaient être là pour
mieux les conserver.
Si
j’écris ce récit aujourd’hui, c’est en souvenir de ces
personnages qui sont partis les uns après les autres. Chaque fois
que l’un partait, son épouse ne tardait pas à le rejoindre.
Le
village a perdu ces mémoires, son âme, sa joie de vivre. Les
jardins sont abandonnés, les nouvelles maisons ont pris la place des
vignes, des oliviers.
Le
village a changé de figure, comme disait Emilien.
Je
ne voudrais pas terminer sans vous parler d’Elise Gilan qui a
aujourd’hui 107 ans.
Lorsqu’il
faisait beau, elle s’installait devant sa porte et regardait les
gens qui quelquefois venaient parler avec elle.
Je
me suis arrêté plusieurs fois et nous étions devenus de vrais
amis.
Elle
me parlait souvent de sa petite auberge sur la place.
Ce
n’était pas vraiment une auberge mais une maison qui accueillait
les voyageurs de commerce qui se déplaçaient en cabriolet.
Elle
m’avoua avoir gagné un peu de « sous. »
Lorsque
j’ai quitté le village, ma dernière visite a été pour Elise qui
semblait m’attendre devant sa porte, elle n’y voyait pas beaucoup
mais elle me reconnaissait. Je lui dis:
-
Elise, je m’en vais à la ville, je pars demain.
-
Ho pourquoi vous partez ? elle me prit mes mains dans les
siennes et nous avons pleuré ensemble.
Je
téléphonais souvent chez son petit fils qui s’occupait bien
d’elle, elle était très bien entourée et très bien soignée.
Puis
j‘ai appris par une voisine, car son téléphone ne répondait
plus, qu‘elle était dans la maison de retraite de Barjols ou je
téléphonais aussitôt.
On
me répondit que je ne pourrais la joindre qu‘au moment des repas,
plusieurs personnes ont essayés de lui faire comprendre que c’était
l’ancien maire qui voulait lui parler, hélas sans résultat.
Mon
seul désir était d’aller la voir et lui serrer les mains très
fort.
Toulon
le 10 juillet 2004.
Le
mardi 20 juillet, je suis allé la voir dans sa belle maison de
retraite.
L’infirmière
nous a placés un peu à l’écart pour ne pas être dérangés.
Elle
m’a regardé sans me voir,
Elle
m’a écouté sans entendre,
Ses
yeux cherchaient à comprendre,
Adieu Elise.
Le
25 juillet 2004
Elise
est morte le 29 juillet 2004
Paul
Sialelli
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